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LE PARNASSE

poète, nous rêvons un accompagnement plaintif en sourdine, tandis que les vers chantent la mélodie d’amour :


On voyait, au travers du rideau de batiste
        Tes boucles dorer l’oreiller,
Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller,
        Tes beaux yeux de sombre améthyste.

Tu t’en venais ainsi, par ces matins si doux,
        De la montagne à la grand’messe.
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse,
        Au pas rythmé de tes Hindous.

Maintenant, dans le sable aride de nos grèves,
        Sous les chiendents, au bruit des mers,
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers,
        Ô charme de mes premiers rêves[1] !


Il y a là, en effet, un philtre : le souvenir de ce premier amour qui embaume toute vie humaine, et une amertume : le regret qui vient de la désespérance matérialiste, du « jamais plus » que le philosophe-poète se répète obstinément. Le penseur désabusé ferme impitoyablement, pour toujours,


Les beaux yeux de sombre améthyste ;


Un autre poète nous console en répondant :


Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l’autre côté des tombeaux
Les yeux qu’on ferme voient encore[2] !


Sully Prudhomme nous agrée davantage ; mais quelle inégalité entre ces deux esprits ! Leconte de Lisle est implacable, mais puissant. Il est l’originalité même. Les sourciers ont beau s’abattre sur lui, ils ont beau multiplier les rapprochements : tout leur effort ne va qu’à montrer ceci : Leconte de Lisle a renouvelé le miracle de La Fontaine, greffant sur son génie le talent d’autrui. On peut retrouver dans son Kaïn les traces du Caïn de Byron, du Sanson d’A. de Vigny, du Roman de la Momie de Théophile Gautier, des Pleurs dans la Nuit des Contemplations, de l’Aymerillot et du Sacre de la Femme dans La Légende des Siècles[3] : Kaïn est, malgré

  1. Poèmes Barbares, p. 190-191.
  2. Sully-Prudhomme, Stances et Poèmes, p. 41.
  3. Vianey, Les Sources, p. 291-297.