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HISTOIRE DU PARNASSE

On pourrait passer en revue les principaux poèmes imités des Chants du Nord ; partout on constaterait le même effort pour effacer, dans les modèles qu’il trouve chez Xavier Marinier, la note religieuse. Christine est une adaptation, très modifiée, d’Aage et Else, ces deux amants séparés par la mort : l’aimé quitte le cimetière et revient près de l’aimée : « Il frappe à la porte avec son cercueil : — Lève-toi, jeune fille, dit-il. Ouvre ta chambre à ton fiancé.

— Non, répond Else, je n’ouvrirai pas, à moins que tu ne puisses comme autrefois prononcer le nom de Jésus.

— Lève-toi, dit-il, et ouvre la porte. Je puis comme autrefois prononcer le nom de Jésus[1] ». On chercherait vainement cette strophe dans Christine. De même dans La Fille de l’Emyr, tirée de La Fille du Sultan. Dans l’original, la jeune fille invoque Jésus qui vient à son appel ; elle veut le suivre. Le Christ la prévient, avant le départ, que la route sera longue et rude. N’importe, elle quitte le palais de son père pour suivre Jésus. Il l’abandonne pour entrer dans un couvent ; elle l’attend, elle pleure ; au soir elle frappe à la porte. On l’accueille, on la garde, on l’instruit. Elle attend toujours le Christ : « mais quand elle fut près de mourir, Jésus lui apparut. Il la prit doucement par la main et l’emmena dans son beau royaume. Là elle est devenue reine, elle goûte toutes les jouissances que son cœur peut désirer, et des milliers d’années passent pour elle comme un jour[2] ». Leconte de Lisle fait de cette version suédoise d’un poème hispano-maure une épopée courte et vivante, mais toute différente : c’est le Christ qui vient spontanément chercher Ayscha, et il la trompe : il se présente à elle comme un amant fils de roi ; il la séduit, il la sacrifie, se révélant à elle quand il est trop tard pour qu’elle recule :


Mon nom est Jésus. Je suis le pêcheur
Qui prend dans ses rêts l’âme en sa fraîcheur…
Parmi les vivants morte désormais
La vierge Ayscha ne sortit jamais
        Du noir monastère.


L’auteur de La Religieuse applaudirait, mais la critique objec-

  1. Chants Populaires du Nord, p. 134.
  2. Marmier, Chants, p. 235 sqq.