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HISTOIRE DU PARNASSE

CHAPITRE III
Leconte de Liste et la Grèce

Pour étudier l’œuvre de Leconte de Lisle, la meilleure méthode ne consiste pas à analyser successivement ses grands recueils dans leurs éditions définitives, les Poèmes antiques parus en 1853, les Poèmes barbares en 1862, les Poèmes tragiques en 1884, les Derniers poèmes en 1895. Ce sont des recueils composites : il y a des pièces grecques dans les Poèmes barbares, et les Poèmes antiques ou tragiques contiennent de la poésie du Nord. Il vaut donc mieux suivre ses quatre ou cinq inspirations principales, à partir du moment où il cesse de faire de la politique et ne veut plus être que poète. Il se tourne vers la Grèce. L’hellénisme le détache du romantisme, et le dresse contre Hugo[1]. Leconte de Lisle, ce puissant maître, entraîne les esprits à sa suite et les ramène à l’hellénisme, la source principale du génie français[2]. Est-ce à la suite de Goethe, et par un souvenir de sa lecture du Second Faust à Rennes ? Jean Dorais voudrait nous le faire croire[3]. Il n’en est rien. Si à Rennes Leconte de Lisle a eu un maître, c’est André Chénier ; mais, même pour Chénier, il faut se garder de toute exagération[4]. Débutant, il imite la technique d’André ; politicien, il aime à retrouver ses idées libertaires dans l’Hermès[5]. Mais plus il devient lui-même, plus il se détache de l’hellénisme ionien et sensuel de Chénier pour aller vers la beauté qui lui agrée mieux : la majesté, la gravité dorienne[6].

Il doit davantage à Louis Ménard, et pourtant n’est pas son simple disciple : les deux amis réagissent l’un sur l’autre[7]. Ils échangent des idées : tout à l’heure l’emprunteur c’était Leconte de Lisle, mais les rôles sont renversés maintenant : en 1855, dans la préface de ses Poèmes et poésies, il dit fièrement : « le reproche

  1. Schuré, Revue des Revues, Ier mai 1910, p. 37.
  2. Brunetière, Le Temps du 13 décembre 1895 ; J. Ducros, Le Retour de la Poésie française, p. 9-22.
  3. Hommes d’Action, p. 120-121.
  4. Cf. les affirmations discutables de M. Kramer, A. Chénier et la Poésie parnassienne, p. 228-229, 241-242, 261-264.
  5. L. Tiercelin, R. D. D.-M., Ier décembre 1898, p. 649, 652 ; M. A. Leblond, L. de Lisle p. 305.
  6. Schuré, ibid., p. 37.
  7. Elsenberg, Le Sentiment, p. 146.