Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
LE PARNASSE


Laissez-nous boire encor, nous, vos derniers fidèles,
Dans l’urne du symbole où s’abreuvaient les forts.
Vos temples sont détruits, mais, ô Lois éternelles !
Dans l’Olympe idéal renaissent les dieux morts[1].


Ménard a l’âme vraiment grecque, au point d’admettre l’hellénisme intégral. On a admiré la pureté de son paganisme[2] ; c’est beaucoup dire, et c’est oublier l’impureté de ce poème, Blanche ; consacrer trois cents vers à une étude du saphisme chez une religieuse, c’est du vilain xviiie siècle, et certains Parnassiens font leurs réserves[3]. Ils ont raison : cet hellénisme est bien composite. Ainsi le Prométhée délivré est un mythe complexe : la Poésie célèbre la libération de la Science par la Force, tandis que la Religion chante ses multiples avatars dans le Passé. Puis la Science s’adresse au Christ, quittant le monde qui ne veut plus de lui ; elle lui fait ce compliment que Renan contresignerait avec joie :


Tu nous aimas, Jésus, tu mourus pour tes frères,
          Tu n’étais pas un dieu[4].


Seulement la Science, autrement dit Prométhée, tire de tout cela une conclusion assez inattendue : elle parle au Chœur, qui représente le Poète, ou peut-être l’Humanité :


Relève enfin la tête, et soudain en fumée
Sous ton souffle fuira la larve inanimée.
Les temps sont maintenant accomplis : Zeus est mort.
L’idéal est en toi ; voilà le dieu suprême ;
Oui, le temple, le prêtre et le dieu, c’est toi-même.
Contemple ta grandeur : te voilà seul, mais fort[5].


C’est du Lucrèce, cela ; ce n’est plus du paganisme mystique. Nous commençons à comprendre pourquoi la critique a hésité à se prononcer : quoi de plus déconcertant qu’Euphorion ? Né des amours d’Achille et d’Hélène aux Enfers, Euphorion a vainement parcouru l’Asie, la Grèce, à la recherche de Dieu. Il hésite entre Vénus et Jésus, puis il se décide à entrer dans l’Église[6]. À la messe de Noël prient les Enfants, le Prêtre, les Vierges, les Croisés, les

  1. Poèmes, p. 241.
  2. Charly Clerc, Le Génie du Paganisme, p. 53 ; c’est à propos du sonnet dédié à Leconte de Lisle dans les Poèmes, p. 91.
  3. Calmettes, p. 60 ; Poèmes, p. 95-112.
  4. Poèmes, p. 54.
  5. Poèmes, p. 58.
  6. Ménard modifie ainsi l’épisode d’Euphorion au 3e acte du Second Faust. Chose curieuse, Barrès, pourtant grand admirateur de Ménard, ne se rappelle que l’Euphorion de Gœthe, né de Faust et d’Hélène, R. D. D.-M., Ier janvier 1906, p. 18.