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LE PARNASSE

qu’une étroite ligne bleue au bord des bois… Il sait en rendre, mieux que personne ne l’a fait avant lui, l’accablement lumineux et la sereine tristesse. Dans ses vers la flamme de l’atmosphère semble danser au chant des cigales, mais le poète ne demande aucune consolation à la nature indifférente et morne[1] ».

Si réfractaire qu’il soit alors à la poésie, le public admire peu à peu, et adopte si bien la pièce que l’auteur finit par s’en agacer : « Midi ! répète-t-il, mais c’est mon Vase brisé[2] ! » C’est de l’ingratitude. Ce cri d’adoration pour la lumière, ce Te Solem laudamus a eu des échos partout, et retentit encore, même dans les milieux les plus croyants[3].


CHAPITRE II
Louis Ménard, l’helléniste du Parnasse

Leconte de Lisle, fait un singulier contraste avec son ami Louis Ménard : quelle étrange figure ! Il faut l’étudier dans un portrait du Luxembourg, qui est un chef-d’œuvre, et dans un dessin à la plume par Maurice Barrès : Leconte de Lisle le conduit un matin « chez Polydore, humble et fameux crémier de la rue Monsieur le Prince, pour me présenter à son vieil ami… Je vis des petits yeux, d’une lumière et d’un bleu admirables, un corps de chat maigre avec des habits râpés, des cheveux en broussaille ; au total, un pauvre qu’on aimait tout de suite, et qui faisait sourire, et qui faisait pitié ; mais voilà, il éveillait une sorte de vénération, car c’était une âme d’une qualité douce et noble[4] ».

En politique, c’est le légendaire « vieille-barbe de 48 », candide, rusé, doux, violent, entêté, désintéressé ; en science, c’est l’omniscient : chimiste, et capable de découvrir le collodion, la nitromannite, la synthèse du diamant ; naturaliste et chasseur de

  1. Rapport, p. 335.
  2. Dornis, Essai, p. 31.
  3. Pierre l’Ermite, La Croix du 11 juin 1928.
  4. Revue Bleue du 12 juillet 1902, p. 34. Le portrait peint par René Ménard est reproduit dans Bédier et Hazard, II, 262.