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LE PARNASSE

et que le malade nous avoue lui-même dans La Recherche de Dieu :


Des cultes de ce monde apostat éternel,
Du désir infini martyr héréditaire,
Malheur ! j’ai déchiré âù livre paternel
La page où flamboyait le divin commentaire[1].


Il n’estime plus son père, il n’aime plus Dieu. Le même cyclone moral a tout balayé. On sent pourtant chez lui, comme chez Mme Ackermann, un âcre regret de la foi qui se change vite en fureur. Racine a expliqué, ne varietur, la psychologie de ces Mathan-là :


Le temple l’importune, et son impiété
Voudrait anéantir le Dieu qu’il a quitté.


Devant le Christ, il n’est plus qu’un révolté haineux : le 31 juillet 1846, il écrit : « Voici que le christianisme est mort…, que le catholicisme est en horreur aux nations… Il faut oublier les cultes menteurs, et l’aveuglement fanatique, et tout le fatras mystique des soi-disant révélations particulières. Que les démons catholiques aillent grincer des dents où bon leur semblera[2] ». La punition de Leconte de Lisle c’est qu’il est obligé d’accepter l’amitié de libres penseurs de l’école Homais, comme ce Garcin qui, la nuit de Noël, dépose dans le petit soulier de son fils, au lieu d’un jouet, une épître en vers finissant ainsi :


Le vrai petit Jésus c’est la Libre Pensée.


Anatole France, qui narre l’histoire à Coppée, ajoute : « Leconte de Lisle… se meurt de l’amour que Garcin lui a voué[3] ». Il se console en fréquentant des Juifs intelligents, mais blasphémateurs : Barrès a entendu James Darmesteter, « âpre prophète d’Israël », raconter devant Leconte de Lisle un songe : il a vu le Christ tomber du ciel au milieu des huées des Dieux qu’il avait détrônés : « Leconte de Lisle se convulsait de plaisir[4] ». Les incrédules, surtout les gens d’imagination vive, les poètes, ne peuvent se contenter du vide ;

  1. M. A. Leblond, p. 178-179 ; à noter au troisième vers un hiatus.
  2. M. A. Leblond, p. 170 ; cf. Clarac, Revue de Littérature comparée, juillet 1926, p. 512 sqq.
  3. Revue de France, Ier mai 1924, p. 781.
  4. R. D. D.-M., 15 novembre 1905, p. 250.