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HISTOIRE DU PARNASSE

malpropreté, puisque, comme on l’a dit excellemment, Mendès semble s’y être donné « comme une mission d’immoralité, et même quelquefois de souillure…, y poursuivant toujours, ouvertement ou non, son infatigable propagande de démoralisation, l’espèce d’apostolat pornographique auquel il s’était voué[1]  ». Dira-t-on que cette sévérité vient d’un moraliste ? Laurent Tailhade, qui n’a rien d’un puritain, constate également que Mendès a mis à la mode « les contes libidineux, toute la friperie obscène[2]  ». Schœlcher l’athée, causant avec Mendès chez V. Hugo, et séduit par son esprit, lui pose brusquement une question gênante : « Je pense que vous n’êtes pas le même que celui qui publie ces affreuses histoires obscènes dans les petits journaux. Cela me ferait trop de peine ». À quoi Mendès répond, en contenant son rire : « Rassurez-vous, monsieur Schœlcher, il n’y a aucun rapport entre ce misérable et votre serviteur. — Ah ! tant mieux, tant mieux[3]  ! » Et tant pis pour Mendès qui, une fois dans sa vie, n’est pas brave, et n’a pas le courage de son ignominie. Remarquons qu’il n’est pas beaucoup plus délicat dans ses œuvres vraiment littéraires ; que, dans son Intermède par exemple, il a une façon gênante d’amener le nom de Jésus-Christ dans ses vers troublants, de prêter au Christ sa sensualité, à lui Mendès. Ayant épuisé toutes les perversités en français, il songe, lassatus sed non satiatus, à les écrire en vers latins, pour se mettre mieux à l’aise. Se rappelant que son patron païen s’appelait Caius Valerius Catullus, il publie à Bruxelles un recueil avec ce titre : Voluptatum libros tres edidit Caius Valerius[4] . On dirait un ténor à la voix charmante, qui ne voudrait chanter que des chansons pourries.

N’importe, c’est une force, et il s’impose à un petit monde littéraire qui cherche à se grouper. Il a chez lui, rue de Bruxelles, des réunions où viennent les futurs parnassiens. Il les accueille gaîment, mais il a des allures dominatrices ; il veut donner le ton, il régente[5] . Bien entendu, il n’exige pas la correction morale. La première fois que Coppée y met les pieds, Mendès prie Glatigny de dire des vers, et le long bohème dégingandé sort des poésies plus

  1. Talmeyr, Correspondant du 10 décembre 1925, p. 708.
  2. Quelques Fantômes, p. 180 ; cf. Léon Daudet, Au Temps de Judas, p. 15.
  3. Léon Daudet, Fantômes, p. 19-20 ; cf. L. Thomas, Nouvelles Littéraires du 21 janvier 1928.
  4. J. Tellier, Nos Poètes, p. 203.
  5. Talmeyr, Correspondant du 10 décembre 1925, p. 705-706.