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À CÔTÉ DU PARNASSE

§ 3. — Pourquoi Banville n’est pas le chef du Parnasse

La rupture est nette. Elle éclate en 1887, mais elle était depuis longtemps un fait accompli. Th. de Banville déplaisait à bon nombre de disciples de Leconte de Lisle, et réciproquement. Cela seul suffirait à expliquer pourquoi Banville n’aurait jamais pu être le maître du Parnasse, même s’il l’avait voulu, mais il y a bon nombre d’autres raisons, de forme, de fond, et de prestige.

Th. de Banville pouvait-il ouvrir, comme Malherbe ou Leconte de Lisle, une école de versification ? Certes, les idées ne lui manquaient pas. Il avait étudié à fond l’art des vers chez Hugo, et même chez Sainte-Beuve ; ne lui avait-il pas, en tête des Odelettes, décoché ce compliment : « les Pensées de Joseph Delorme m’ont enseigné mes théories ; les Notes et Sonnets qui sont à la suite des Pensées m’ont donné le type de mes formules[1] ». On est surpris… Sainte-Beuve le fut peut-être aussi un instant, mais il fut bien vite ravi en lisant l’Odelette à lui dédiée, glorification de la rime joyau, princesse, reine :


Ce que vaut ce clair diamant
Tu le sais bien, toi qui, tout jeune,
As été son plus cher amant[2]


Donc, fort des théories de Sainte-Beuve et de l’autorité de V. Hugo, Th. de Banville publie son Petit Traité de poésie. On a voulu y voir l’exposé de la doctrine officielle du Parnasse sur l’art des vers[3]. C’est vrai pour le seul Glatigny, qui suit passionnément l’apparition de l’ouvrage en fascicules : « je veux apprendre mon métier, fichtre[4] ! » C’est faux pour tous les autres parnassiens. D’abord, ce traité n’a paru qu’en 1870, dans l’Écho de la Sorbonne, quand l’École était déjà à son apogée[5] ; puis, il est si peu parnassien que les Symbolistes vont y découvrir une des sources de leur poésie ; M. Fuchs l’a démontré[6]. Il a de plus constaté que c’était, pour la majeure partie, un livre scolaire, contenant d’abondants

  1. Stalactites, p. 100.
  2. Stalactites, p. 115.
  3. Rivaroli, p. 105 et passim ; {{sc|Boschot, Chez nos Poètes, p. 77, 78 ; Remy de Gourmont, Promenades littéraires, V, 48-49.
  4. Mercure de France, 15 avril 1923, p. 383.
  5. Fuchs, p. 422.
  6. Fuchs, p. 441-442. — Cf. Maurras et de la Tailhède. Un débat, p. 116.