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temps ; il ne semble pas d’ailleurs que les hommes de la Révolution aient oublié cette vérité autant que ledit Joseph de Maistre ; on a souvent remarqué que dans les cas mêmes où ils affichaient la prétention de raisonner sur l’homme anhistorique, ils avaient, d’ordinaire, travaillé à satisfaire les besoins, les aspirations ou les rancunes des classes moyennes contemporaines ; tant de règles relatives au droit civil ou à l’administration n’auraient pas survécu à la Révolution si leurs auteurs eussent toujours navigué dans des espaces imaginaires, à la recherche de l’homme absolu.

Ce qui est surtout digne d être examiné de près dans l’héritage qu’ils nous ont laissé, c’est la coexistence d’un droit formulé pour les gens réels de ce temps et de thèses anhistoriques. L’histoire de la France moderne nous permet de déterminer avec précision quels inconvénients résultent de l’introduction de thèses de ce genre dans un système juridique. Les principes de 89 furent regardés comme formant le préliminaire philosophique de nos codes ; les professeurs se crurent obligés de prouver que ces principes peuvent servir à justifier les règles générales de la science qu’ils enseignaient : ils y parvinrent, parce que l’esprit peut, avec de la subtilité, venir à bout d’entreprises plus difficiles ; mais des écrivains habiles opposèrent à ces sophismes conservateurs d’autres sophismes, soit pour établir la nécessité de faire progresser le droit, soit même pour établir l’absurdité de l’ordre social actuel.

A Rome, quelque chose de très analogue s’était produit quand les juristes de l’époque antonine voulurent utiliser la philosophie stoïcienne pour éclairer leurs doc-