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n’empêchent d’ailleurs nullement l’homme de savoir tirer profit de toutes les observations qu’il fait au cours de sa vie et ne font point obstacle à ce qu’il remplisse ses occupations normales[1].

C’est ce que l’on peut montrer par de nombreux exemples.

Les premiers chrétiens attendaient le retour du Christ et la ruine totale du monde païen, avec l’instauration du royaume des saints, pour la fin de la première génération. La catastrophe ne se produisit pas, mais la pensée chrétienne tira un tel parti du mythe apocalyptique que certains savants contemporains voudraient que toute la prédication de Jésus eût porté sur ce sujet unique[2]. — Les espérances que Luther et Calvin avaient formées sur l’exaltation religieuse de l’Europe ne se sont nullement réalisées ; très rapidement ces Pères de la Réforme ont paru être des hommes d’un autre monde ; pour les protestants actuels, ils appartiennent plutôt au Moyen Age qu’aux temps modernes et les problèmes qui les inquiétaient le plus occupent fort peu de place dans le protestantisme contemporain. Devrons-nous contester, pour cela, l’immense résultat qui est sorti de leurs rêves de rénovation chrétienne ? — On peut reconnaître facilement

  1. On a souvent fait remarquer que des sectaires anglais ou américains, dont l’exaltation religieuse était entretenue par les mythes apocalyptiques, n’en étaient pas moins souvent des hommes très pratiques.
  2. Cette doctrine occupe, à l’heure actuelle, une grande place dans l’exégèse allemande ; elle a été apportée en France par l’abbé Loisy.