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tant de victimes. La férocité des conventionnels s’explique facilement par l’influence des conceptions que le Tiers État avait puisées dans les pratiques détestables de l’Ancien Régime.


III


Il serait étrange que les idées anciennes fussent complètement mortes ; l’affaire Dreyfus nous a montré que l’immense majorité des officiers et des prêtres concevait toujours la justice à la manière de l’Ancien Régime et trouvait toute naturelle une condamnation pour raison d’État[1]. Cela ne doit pas nous surprendre, car ces deux catégories de personnes, n’ayant jamais eu de rapports directs avec la production, ne peuvent rien comprendre au droit. Il y eut une si grande révolte dans le public éclairé contre les procédés du ministère de la Guerre, que l’on put croire un instant que la raison d’État ne serait bientôt plus admise (en dehors de ces deux catégories) que par les lecteurs du Petit Journal, dont la mentalité se trouverait ainsi caractérisée et rapprochée de celle qui existait il y a un siècle. Nous avons vu, hélas ! par une

  1. L’extraordinaire et illégale sévérité que l’on apporta dans l’application de la peine, s’explique par ce fait que le but du procès était de terrifier certains espions que leur situation mettait hors d’atteinte ; on se souciait assez peu que Dreyfus fût coupable ou innocent ; l’essentiel était de mettre l’État à l’abri de trahisons et de rassurer les Français affolés par la peur de la guerre.