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carrière ; je suis accablé de tristesse et d’ennui. Mettez dans mon esprit ce charme et cette douceur que je sentais autrefois et qui fuit loin de moi… Si vous ne voulez point adoucir la rigueur de mes travaux, cachez le travail même ; faites qu’on soit instruit, et que je n’enseigne pas ; que je réfléchisse, et que je paraisse sentir… Quand les eaux de votre fontaine sortent du rocher que vous aimez, elles ne montent point dans les airs pour retomber ; elles coulent dans la prairie… »

L’artiste est, en Montesquieu, aussi exigeant que le penseur. La composition littéraire de l’ouvrage l’inquiète autant que la recherche des principes et que la méthode. Il veut, dans son livre, un ordre parfait, mais un ordre qui s’insinue et ne s’impose point ; une variété incessante dans les tours, pour délasser le lecteur de l’uniformité de la route et de la pesanteur du bagage. Il tient moins à « faire lire qu’à faire penser ». Il veut laisser toujours quelque chose à deviner au lecteur : c’est une façon de l’associer à son œuvre et de flatter sa perspicacité, « Nous nous ressouvenons, dit-il quelque part, de ce que nous avons vu, et nous commençons à imaginer ce que nous verrons ; notre âme se félicite de son étendue et de sa pénétration. » Il est maître, et maître incomparable, dans l’art de dessiner les allées, d’ouvrir les avenues, de ménager les repos, de disposer les bosquets et les bancs, de découvrir tout d’un coup les points de vue, quand la promenade est plate et facile, de les ménager et de les faire pres-