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Montesquieu n’a fait que l'entrevoir. Faute de notions précises, il s’abandonne à son imagination. Il se plaît à supposer un état de nature où des sauvages timides, faibles et amoureux jouissaient d’une sorte de bonheur animal. La paix fut, selon lui, la première loi des hommes ; la guerre fut la seconde, et elle commença dès que les hommes s’étant groupés en sociétés, ces sociétés commencèrent de lutter pour leur existence ; comme si l’instinct social qui porte les hommes à aimer leurs semblables et à se réunir avec eux, n’était pas aussi primordial en eux, que l’instinct égoïste qui les porte à se disputer et à se haïr. Montesquieu reste perplexe et confus sur ce grand sujet. Quelques lignes d’une lettre persane sont peut-être encore ce qu’il en a dit de plus clair, « Je n’ai jamais ouï parler du droit public, qu’on n’ait commencé par rechercher soigneusement quelle est l’origine des sociétés ; ce qui me paraît ridicule. Si les hommes n’en formaient point, s’ils se quittaient et se fuyaient les uns les autres, il faudrait en demander la raison et chercher pourquoi ils se tiennent séparés ; mais ils naissent tous liés les uns aux autres ; un fils est né auprès de son père, et il s’y tient ; voilà la société et la cause de la société. »

Cependant, comme il lui faut absolument présenter une opinion et adopter une formule, il se retranche dans la plus vague et la plus générale de toutes, « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Cette signification est, en effet,