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des classiques de notre littérature. Il n’a nulle part été plus entièrement lui-même, c’est-à-dire plus foncièrement Latin et plus franchement Français que dans les Considérations. On a loué, dans ce livre, la manière vive et nerveuse, la fermeté et la grandeur des mouvements ; la largeur dans l’ordonnance du sujet ; « l’image magnifique et brève » dans l’exposition ; cette concision qui rappelle Salluste et Tacite ; cet art « à retremper les expressions, et à leur redonner toute leur force primitive », à les saisir, pour ainsi parler, dans le plein, à les jeter dans la phrase avec leur métaphore initiale, à en doubler l’effet par l’application inattendue à de grands objets, du mot simple et populaire, obscurci et comme rongé par l’usage et par la rouille du temps. « Rien ne servit mieux Rome que le respect qu’elle imprima à la terre. Elle mit d’abord les rois dans le silence, et les rendit comme stupides. » On relèverait des traits de ce genre à toutes les pages des Considérations.

L’ensemble des jugements de Montesquieu est resté juste, comme la méthode de son livre et comme son style. Si l’on voulait instituer un commentaire perpétuel des Considérations et le mettre « au courant » de l’érudition, les notes noieraient le texte. Il en serait de même des Époques de la nature si l’on voulait les tenir au niveau de la science depuis Cuvier jusqu’à Darwin. Mais à quoi bon ? On lira les historiens modernes de Rome : on ne les entendra jamais si bien qu’après une lecture de Montesquieu ; on n’entendra jamais si bien Montesquieu, qu’après les