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les Secondat le retinrent pour être parrain de l’enfant, afin « que ce parrain lui rappelât toute sa vie que les pauvres sont ses frères ». Ainsi en avait usé autrefois le père de Montaigne, compatriote de celui de Montesquieu.

Charles-Louis porta d’abord le nom de La Brède, qui était celui de la terre patrimoniale. Il passa trois années en nourrice chez des paysans : il y fortifia sa constitution et apprit à parler le patois. Il revint chez ses parents, en ce château de La Brède, auquel son souvenir reste attaché. C’est un grand manoir du XIIIe siècle, en forme de donjon, crénelé, massif, sans ornements d’architecture, dressant ses murs noirs, irrégulièrement percés de fenêtres, sur de larges fossés remplis d’eau : on y entre par un pont-levis. Charles-Louis y vécut jusqu’à l’âge de sept ans ; il perdit alors sa mère, et fut envoyé chez les Oratoriens, à Juilly, où il resta de 1700 à 1711.

Cette éducation, séquestrée de la famille, n’était point faite pour développer en lui une grande tendresse de cœur ; il n’y inclinait point, étant d’un naturel heureux, réfléchi, sans aucune mélancolie. Le collège ecclésiastique aurait dû, semble-t-il, l’attacher à la foi, ou tout au moins le disposer aux idées religieuses. Sa mère lui avait inspiré le respect de la religion chrétienne ; l’éducation toute littéraire, classique et romaine qu’il reçut, le prépara par l'indifférence à l’incrédulité. À vingt ans, il composa un écrit pour démontrer que les philosophes païens ne méritaient point la damnation éternelle. Le