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refuses, ce sera un reproche honteux, mais si tu l’accordes, ô mon fils, quelle gloire te récompensera, si j’arrive vivant sur la terre de l’Œta ! Va, la peine ne sera pas d’un jour entier. Ose-le, jette-moi où tu voudras, à la proue, à la poupe, dans la sentine même, partout où je serai le moins gênant pour tes compagnons. Consens, mon fils, au nom de Jupiter lui-même, protecteur des suppliants, laisse-toi fléchir ; je tombe à tes genoux, tout infirme, tout boiteux que je suis, malheureux ! Ne m’abandonne pas dans un désert où il n’y a nul vestige d’hommes ; mais sauve-moi, emmène-moi dans ta patrie, ou sur les rivages de l’Eubée, où règne Chalcodon[1] ; de là le trajet ne sera pas long jusqu’au mont Œta[2], jusqu’aux hauteurs de Trachine, et aux bords du Sperchios, aux belles eaux, et rends- moi à mon père chéri ; hélas ! depuis longtemps je crains bien de l’avoir perdu ! Car bien souvent, par ceux qui abordaient ici, je lui adressai des prières suppliantes de venir lui-même sur un vaisseau me sauver et me rendre à ma patrie. Mais ou il est mort, ou bien ceux qui s’étaient chargés de mon message s’inquiétaient peu, comme il est naturel, je pense, de ce qui me concernait, pour hâter leur retour dans leur patrie. Aujourd’hui, j’ai recours à toi ; sois à la fois mon messager et mon conducteur ; sauve-moi, aie pitié de

  1. Chalcodon était un compagnon d’Hercule, qui l’avait aidé à nettoyer les étables d’Augias. Pausanias, IX, 19, dit avoir vu en Eubée le tombeau de cet ancien roi.
  2. Les montagnes de l’Œta, qui paraissent être un prolongement de la chaîne du Pinde, séparaient la Phocide de la Thessalie méridionale. L’Œta serre la mer de si près, qu’il laisse à peine dans l’endroit le plus étroit un passage de soixante pas. C’est ce défilé qui, sous le nom de Thermopyles, a été illustré par la résistance de Léonidas. — Trachine, ville de Thessalie, située sur le penchant du mont Œta. — Le Sperchios avait sa source dans les montagnes de la Thessalie, et se jetait dans le golfe Maliaque. Lucain, Pharsale, VI, 366 :
    Ferit amne citato
    Maliacas Spercheus aquas.
    Voyez dans les Trachiniennes, vers 639, première strophe du Chœur, une note sur toute cette contrée.