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devant de lui et le retient : nouveau changement de situation, qui résulte également du caractère des acteurs.

Au reste, nuls incidents extérieurs ne viennent compliquer la marche de ce drame si simple ; et néanmoins, le jeu des passions qui s’agitent dans ce cercle si resserré soutient l’intérêt jusqu’à la dernière scène.

Le Chœur, composé de matelots grecs, exprime, comme un témoin impartial, les sentiments divers qui doivent animer les spectateurs. Il peint avec des couleurs poétiques la vie de l’exil, les privations de l’homme séquestré de la société, et l’amertume d’une existence solitaire. On peut remarquer dans cet ouvrage un grand nombre d’idées, de comparaisons et de métaphores empruntées aux habitudes de la vie maritime. C’était chose toute naturelle à Athènes, dont la prépondérance politique sur les autres peuplades de la Grèce reposait alors sur sa puissance navale.

Nous avons déjà remarqué, dans les Trachiniennes, que la peinture des douleurs physiques ne répugnait pas aux anciens. Celles de Philoctéte ont été décrites avec un soin égal par le poète, dans une scène d’ailleurs assez vive, et elles amènent à leur suite le sommeil du héros, qui resserre plus étroitement le nœud de l’action.

La préface grecque donne une date à la représentation du Philoctéte, qui, selon le même document, valut à l’auteur le premier prix. Elle aurait été donnée sous l’archonte Glaucippos , la troisième année de la quatre-vingt-douzième olympiade, ou environ l’an 410 avant notre ère. Si l’on ajoute foi à cette préface, Sophocle aurait eu alors quatre-vingt-cinq ans, en adoptant l’opinion de ceux qui le font naître en 495. Cet âge paraîtra bien avancé, pour la poésie vigoureuse qu’on admire dans cette pièce. Mais plusieurs critiques ont supposé que Sophocle l’avait travaillée assez longtemps avant l’année où elle fut représentée. D’un autre côté, le savant Hermann pense que le Philoctéte est nécessairement postérieur à la quatre-vingt-neuvième olympiade, attendu que c’est seulement depuis cette époque que les poètes tragiques ont pris la licence d’employer l’anapeste à la place de l’ïambe dans le vers ïambique : or, le Philoctète offre plusieurs exemples de cette licence.