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CRÉON.

De tous les Thébains ici présents, tu es la seule à voir de telles choses.

ANTIGONE.

Ils les voient bien aussi, mais leur bouche te flatte[1] !

CRÉON.

Et toi, ne rougis-tu pas de penser autrement qu’eux ?

ANTIGONE.

C’est qu’il n’y a rien de honteux à honorer ceux qui sont nés du même sein que nous.

CRÉON.

N’était-il pas du même sang que toi, celui qui mourut dans le camp opposé[2] ?

ANTIGONE.

Oui, du même sang, puis qu’il est né du même père et de la même mère.

CRÉON.

Pourquoi donc rendre à Polynice un honneur impie pour son frère, son ennemi ?

ANTIGONE.

Il me rendra un autre témoignage, ce mort que je regrette aussi.

CRÉON.

Non vraiment, si tu rends des hommages égaux à l’impie.

ANTIGONE.

Il est mort, non pas son esclave, mais son frère.

CRÉON.

Mais l’un ravageait sa patrie, l’autre combattait pour elle.

ANTIGONE.

Pluton impose des lois égales pour tous.

CRÉON.

Mais l’homme de bien et le méchant ne doivent pas obtenir un égal traitement.

  1. ὑπίλλουσιν « flattent de la queue, » comme un chien.
  2. Étéocle