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de la tyrannie qui respire dans cette pièce, et qui, bien que formellement exprimée dans tel passage particulier, comme v. 729- 735, se révèle encore plus par l’impression générale de tout l’ouvrage, comme un sentiment qui s’exhale de l’âme même du poète. On conçoit très bien que cette aversion pour la tyrannie fut de nature à agir vivement sur l’esprit de la multitude, à provoquer ses acclamations et son enthousiasme, et à inspirer le désir de récompenser l’auteur, en l’élevant à de hautes fonctions politiques.

Selon Suvern, Sophocle aurait en outre introduit dans cette pièce certaines allusions relatives a l’état politique et au gouvernement d’Athènes à cette époque (v. 662, 572, dans le premier discours de Créon à son fils) ; il suppose que le poète exhorte les Athéniens à mettre fin aux divisions des partis de Périclès et de Thucydide, et à n’obéir qu’au seul Périclès, qui, vers ces temps-là, écrasa le parti de son rival, et devint le chef de la république. Il est permis d’avoir quelques doutes sur la réalité de cette intention ; mais , dans ce système, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que Sophocle eût été donné pour collègue à Périclès.

Quoi qu’il en soit, la phrase d’Aristophane de Byzance, que nous avons citée plus haut, a été le fondement de toutes les conjectures qu’on a formées sur la date de la représentation d’Antigone. L’époque de la guerre de Samos sert à la fixer d’une manière approximative ; cependant les opinions varient entre celles de M. Bœckh, qui s’arrête à la troisième année de la quatre-vingt-quatrième olympiade, ou 442 avant notre ère, et celle de Seidler, qui propose la première année de la quatre-vingt-cinquième olympiade, ou 440 avant Jésus-Christ. Wex et Suvern adoptent une opinion intermédiaire, c’est-à-dire l’olympiade 84, 4, ou 441 avant Jésus-Christ. Enfin Bothe pense qu’il faut entendre ici la seconde guerre de Samos, qui eut lieu sous l’archonte Morychidés, olympiade 85, 1=439 ; et que la pièce fut jouée cette année-là même.

Selon Aristophane de Byzance, l’Antigone était la trente-deuxième pièce de Sophocle. Si l’on admet l’opinion la plus accréditée, qui place sa naissance à l’an 495 , il aurait eu cinquante et quelques années lorsqu’il fit jouer cette tragédie. Il était alors dans la force de son génie, qui d’ailleurs se maintint longtemps dans tout son éclat, puisque la plupart des chefs-d’œuvre qui nous restent de lui, sont postérieurs a l’Antigone.