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palais, sous le poids des malédictions qu’il a lancées contre lui-même. Cependant il a besoin de secours et d’un guide, car ses douleurs surpassent ses forces. Tu vas en être témoin ; voici les portes qui s’ouvrent, tu vas voir un spectacle qui attendrirait même un ennemi.

LE CHŒUR.

O spectacle horrible, le plus horrible qui ait jamais frappé les yeux ! ô malheureux ! quel délire s’est emparé de toi ? quel est le dieu qui a fait fondre les calamités les plus cruelles sur ta destinée ? Je ne puis même supporter ta vue, moi qui aurais tant de questions à te faire, tant de choses à apprendre de toi ou à contempler en toi ! je ne le puis, tant ton aspect me fait frissonner !

ŒDIPE.

Hélas ! hélas ! malheureux que je suis ! en quels lieux me portent mes pas ? où s’égarent les sons de ma voix[1] ? O fortune, où m’as-tu précipité ?

LE CHŒUR.

Dans des horreurs qu’on ne peut ni voir ni entendre[2].

ŒDIPE.

(Strophe 1.) O ténèbres, nuage odieux, implacable, qui m’enveloppes sans retour d’une impénétrable obscurité ! Malheur à moi, mille fois malheur ! De quels aiguillons me déchirent à la fois ma douleur présente et le souvenir de mes calamités !

LE CHŒUR.

Parmi tant de maux, il n’est pas étonnant que tu aies doublement à gémir et doublement à souffrir.

ŒDIPE.

(Antistrophe 1.) O mon ami, tu restes donc toujours

  1. Il y a assurément quelque chose de très-poétique et de profondément senti dans cet effroi qu’Œdipe, plongé tout à coup dans l’obscurité, éprouve aux seuls sous de sa voix qui se perd dans l’espace.
  2. Cicéron, pro Plancio, XLI, 99 : « In calamitatem cum auditu crudelem, tum visu nefariam. » — Dans Œdipe à Colone, v. 141 : δειὀς ὂρᾶν, δεινὸς κλύειν.