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ÉLECTRE.

Prends garde, aucun bonheur ne s’achète sans peine[1].

CHRYSOTHÉMIS.

Je le sais ; je ferai tout ce que je puis.

ÉLECTRE.

Écoute donc à présent comment j’ai résolu d’accomplir mon projet. Tu sais toi-même que nous n’avons plus l’appui d’aucun ami ; Pluton nous les a ravis, et nous sommes restées seules. Pour moi, tant que j’entendais dire que mon frère était encore florissant de jeunesse et de vie, je conservais l’espoir qu’il reviendrait un jour venger le meurtre de mon père ; mais aujourd’hui qu’il n’est plus, je m’adresse à toi, pour qu’avec l’aide de ta sœur, tu n’hésites pas à immoler l’assassin de notre père, Égisthe ; car je ne dois rien te cacher. Jusqu’à quand resteras-tu oisive ? Quel espoir te soutient encore, toi dont le partage est de gémir, dépouillée des biens de la fortune paternelle, et de passer le reste de ta vie dans la douleur de vieillir sans époux ? En effet, n’espère plus d’hyménée ; car Égisthe n’est pas si inhabile, qu’il laisse, pour sa perte évidente, des enfants de ton sang ou du mien. Mais, si tu veux suivre mes conseils, d’abord tu t’honoreras par ta piété envers ton père et envers ton frère, et ensuite tu resteras libre comme tu l’es par ta naissance, et tu trouveras un hymen digne de toi ; car il n’est pas d’homme qui n’admire les nobles actions. Ne vois-tu pas quelle renommée tu feras rejaillir sur toi-même et sur moi, si tu suis mes conseils ? Quel citoyen, quel étranger à notre aspect ne s’écriera pas avec admi-

  1. Cette pensée, souvent exprimée par les anciens, l’a été d’abord par Épicharme, cité par Xénophon, Mém. II, c. 1 :
    Τῶν πόνων πωλοῦσιν ἡμῖν πάντα τἀγάθ᾿ οἱ θεοί.
    « Les dieux nous vendent tous les biens au prix des peines » Horace, I, Satir. 9 :
    Nil sine magno
    Vita labore dedit mortalibus.
    La Fontaine :
    La fortune nous vend ce qu'on croit qu'elle donne.