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Certain soir, X… et moi, qui étions encore célibataires, nous avions emmené notre cher Russe au restaurant. Nous avions eu soin d’éviter la salle commune, car, avec sa longue chevelure et sa longue barbe, l’une et l’autre un peu grisonnantes, avec son air de prophète, sa voix sonore et les sujets qu’il affectionnait (nous disions qu’il circulait dans l’Apocalypse comme chez lui), Soloviev risquait trop d’attirer l’attention, vulgaire ou grossière, des badauds et des imbéciles. Nous voulions d’autant moins l’y exposer que, s’il avait l’âme héroïque, cette âme était aussi très douce, jusqu’à la tendresse.

Donc, ce soir-là, suivant l’habitude, nous nous étions offert en cabinet particulier le philosophe théologien, apôtre et ironiste. Après les détours d’une conversation abandonnée, nous avions, je ne sais plus comment, conduit notre génial et délicieux compagnon à nous parler de la fin du monde ! Survint le garçon, accomplissant son office. L’auditeur fortuit éprouva une extrême surprise des paroles prononcées par notre invité, si différentes des propos qui se tiennent d’ordinaire en ces lieux. Sans doute, la figure attentive et animée que nous faisions, X… et moi, acheva de bouleverser le garçon. Il crut