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par quelques pas seulement. Devant lui se dessinait, éclairée d’un nébuleux rayonnement phosphorescent, une figure dont les deux yeux lui remplissaient l’âme d’une lumière subtile qu’il ne pouvait supporter.

Il voit ces deux yeux perçants ; et, sans pouvoir deviner si elle vient de lui-même ou du dehors, il entend une voix étrange, étouffée, ou plutôt contenue et nette en même temps, métallique et sans âme, analogue à la voix du phonographe. Et cette voix lui dit : — « Mon fils bien-aimé, tu as toute mon affection. Pourquoi n’as-tu pas recouru à moi ? Pourquoi as-tu honoré l’autre, le mauvais, et son père ? Je suis Dieu et ton père. Mais ce mendiant, le crucifié, est étranger à moi et à toi. Je n’ai pas d’autre fils que toi. Tu es unique, seul engendré, pareil à moi. Je t’aime et je ne réclame rien de toi. Ainsi, tu es beau, grand, puissant. Fais ton œuvre en ton nom et non pas au mien. Je n’éprouve pas l’envie à ton égard. Je t’aime. Rien de toi ne m’est nécessaire. L’autre, Celui que tu considérais comme Dieu, a exigé de Son fils l’obéissance et une obéissance illimitée, jusqu’à la mort sur la croix ; et Il ne l’a pas secouru sur la croix. Je t’aiderai sans rien te demander en retour. Par amour pour toi, pour ton propre mérite et pour ton excellence propre et par amour pur et désintéressé envers toi, je t’aiderai. Reçois mon esprit. De même qu’auparavant mon esprit t’a engendré dans la beauté, maintenant il t’engendre dans la force. »

À ces paroles de l’inconnu, les lèvres du sur-homme se sont involontairement entr’ouvertes, les deux yeux perçants se sont approchés tout près de son visage, et