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cette intelligence aveuglée par l’amour-propre. Il raisonnait ainsi : « Le Christ est venu avant moi ; je me manifeste en second lieu ; mais ce qui est subordonné dans l’ordre du temps a la prééminence dans l’ordre de la nature. J’arrive le dernier, au terme de l’histoire, et, précisément, parce que je suis le sauveur définitif et accompli. Le premier Christ est mon précurseur. Son rôle était de devancer et de préparer mon apparition. » Et selon cette idée, le grand homme du vingt et unième siècle s’appliquait tout ce qui est dit dans l’Évangile à propos du second avènement, expliquant cet avènement non comme le retour du premier Christ mais comme le remplacement du Christ précurseur par le Christ définitif, c’est-à-dire lui-même.

À ce stade, « l’homme qui vient » est encore peu caractérisé et peu original. Son rapport avec le Christ, il l’envisage comme faisait, par exemple, Mahomet, homme droit, qu’on ne peut accuser d’aucune mauvaise intention.

L’amour-propre qui le fait se préférer au Christ, cet homme le justifiera encore par le raisonnement suivant : « Le Christ, en prêchant et en manifestant dans sa vie le bien moral, a été le réformateur de l’humanité ; mais je suis destiné à être le bienfaiteur de cette humanité, réformée en partie, en partie incorrigible. Je donnerai à tous les hommes tout ce qui leur est nécessaire. Le Christ, comme moraliste, a divisé les hommes d’après le bien et d’après le mal. Moi, je les unirai par les bienfaits, qui sont également nécessaires aux bons et aux méchants. Je serai le véritable représentant de ce Dieu qui fait luire son soleil sur les bons