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vous aviez dit franchement que la foi chrétienne ne compte pas à vos yeux, et que, selon vous, son objet c’est une mythologie, alors, naturellement, j’aurais imposé une contrainte à l’hostilité que je ne puis vous dissimuler pour votre manière de penser. Car, erreur ou faute n’est pas compte ; et ressentir de l’animosité envers des personnes pour leurs erreurs théoriques, c’est se donner soi-même un certificat d’excessive petitesse d’esprit, d’excessive faiblesse de foi et d’excessive dureté de cœur. Les hommes qui croient réellement et qui, par là même, sont à l’abri de ces excès de sottise, de lâcheté et de dureté, doivent avoir une disposition cordiale pour l’adversaire ou le négateur des vérités religieuses, quand celui-ci est sincère et franc, c’est-à-dire honnête. Mais à noire époque cette rencontre est si rare ! Je ne saurais guère vous dire avec quelle particulière satisfaction je contemple un ennemi déclaré du christianisme. Peu s’en faut que je ne sois toujours prêt à voir en tout homme de ce genre un futur apôtre Paul ; tandis que tels et tels zélateurs du christianisme me font forcément songer à Judas, le traître. Mais vous, Prince, vous vous êtes comporté avec tant de franchise que je refuse catégoriquement de vous ranger parmi les Judas d’aujourd’hui, innombrables dans les deux sexes ; et déjà je prévois le moment où je ressentirai pour vous la meilleure disposition, celle qu’éveillent en moi beaucoup d’athées et de païens déclarés.

L’HOMME POLITIQUE. – Puisque, par bonheur, il est bien clair maintenant que ni les athées, ni les païens, ni les « vrais chrétiens » pareils au Prince ne représentent