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propres actes. Si cela ne vous parait pas clair en logique, voici pour vous un exemple saisissable à première vue. Le tsar moscovite Ivan IV, dans une lettre bien connue, enjoignit au prince André Kourbski de donner un exemple du plus grand bien : l’héroïsme moral le plus élevé, en s’abstenant de résister au mal et en acceptant avec douceur la mort du martyre pour la vérité. Celle volonté du maître était bonne en ce qu’elle exigeait d’autrui, mais elle ne prouvait nullement que le maître qui exigeait un tel bien fût bon lui-même. Évidemment, le martyre pour la vérité manifeste la plus haute vertu morale, mais cela ne témoigne rien du tout en faveur d’Ivan IV, puisque, dans la circonstance, il n’était pas le martyr mais le bourreau.

LE PRINCE. – Que voulez-vous donc dire par là ?

M. Z… – Ceci : tant que vous ne me montrez pas la bonne qualité de votre maître par ses propres actes, mais seulement par ses prescriptions verbales aux ouvriers, je demeure persuadé que votre maître lointain, qu exige des autres le bien, mais qui ne fait aucun bien lui-même ; qui impose des obligations, mais qui ne manifeste pas d’amour ; qui jamais ne s’est montré à vos yeux, mais qui vit quelque part à l’étranger, incognito – qu’il est uniquement le Dieu de ce temps

LE GÉNÉRAL. – Incognito maudit !

LA DAME. – Ah ! ne parlez pas ainsi ! Quelle horreur ! Que la puissance de la croix soit avec nous ! (Elle fait le signe de la croix.)

LE PRINCE. – On pouvait s’attendre à quelque chose de ce genre.