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LA DAME. – Bien. En attendant qu’il soit composé, dites-moi maintenant, en deux mots, quel est, selon vous, le fond de l’Évangile ?

LE PRINCE. – Il me semble, clairement, que c’est le grand principe de la non-résistance au mal par la force.

L’HOMME POLITIQUE. – Et comment ainsi en finir avec le tabac ?

LE PRINCE. – Quel tabac ?

L’HOMME POLITIQUE. – Ah ! mon Dieu ! Je demande quel rapport existe entre le principe de la non-résistance au mal et les appels à s’abstenir de vin, de viande et d’amour ?

LE PRINCE. – Le rapport est clair, il me semble ces habitudes dépravées abrutissent l’homme – elles étouffent en lui la voix de la raison ou de la conscience. C’est pourquoi les soldats s’enivrent en partant pour la guerre.

M. Z… – Surtout pour une guerre malheureuse. Mais nous pouvons laisser cela de côté. Le principe de la non-résistance au mal est important en lui-même. Mais est-ce qu’il justifie, ou non, l’application de l’ascétisme ? Suivant vous, si nous nous abstenons de résister au mal par la force, alors, aussitôt, le mal disparaîtra. C’est-à-dire qu’il subsiste seulement par notre résistance ou par les moyens que nous employons contre lui, et qu’il n’a pas de force réelle qui lui soit propre. Au fond, il n’y a pas du tout de mal ; il se manifeste seulement comme la conséquence de notre erreur qui nous fait croire que le mal existe et qui nous porte à agir contre lui. C’est cela, n’est-ce pas ?