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LA DAME (au Général, et d’un ton triomphant). – Vous voyez ! Et maintenant qu’est-ce que vous avez à dire ?

LE GÉNÉRAL (sèchement). – Rien.

M. Z… (au Prince). – Vous arrivez fort à propos. Voici où en est la discussion : le progrès mérite-t-il qu’on se soucie de lui quand on sait que, à l’égard de tous les hommes, soit les sauvages, soit les futurs Européens les plus civilisés, il aura toujours pour résultat final la mort ? Qua diriez-vous là-dessus, d’après votre doctrine ?

LE PRINCE. – La vraie doctrine chrétienne ne permet même pas de poser ainsi la question. La solution évangélique du problème est exposée avec une clarté et une force particulières dans la parabole des vignerons. Ceux-ci s’étaient imaginé que le jardin où on les avait envoyés travailler pour le compte du maître était leur propriété ; que tout ce qui se trouvait là avait été fait pour eux et que leur rôle consistait seulement à jouir de leur vie dans ce jardin, en oubliant le propriétaire et en assommant les gens qui parlaient de lui et qui rappelaient ce à quoi on était obligé envers lui. Comme ces vignerons, la plupart des hommes de maintenant vivent dans la stupide assurance qu’ils sont eux-mêmes les maîtres de leur vie ; qu’elle leur a été donnée pour leur jouissance. Évidente absurdité. Si nous avons été envoyés ici-bas, c’est par la volonté de quelqu’un et pour l’accomplissement de quelque chose. Nous avons décidé que nous sommes comme les champignons. Nous sommes nés et nous vivons seulement pour notre joie. Évidemment c’est mal à nous, comme c’est mal à l’ouvrier qui