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de la civilisation prétend résoudre une tâche telle que la suppression de la mort ?

M. Z… – Je Sais qu’il n’y prétend pas ; et c’est pourquoi on ne peut avoir une bien haute idée de lui. En fait, si j’étais très certain que je dois, moi-même, avec tout ce qui m’est cher, disparaître pour toujours, ne me serait-il pas tout à fait indifférent que les diverses nations combattent entre elles ici ou là, ou bien qu’elles vivent en paix, civilisées ou sauvages, policées ou non ?

L’HOMME POLITIQUE. – Oui, au point de vue égoïste, cela serait absolument égal.

M. Z… – Comment ! au point de vue égoïste ? Je vous demande pardon : – à tous les points de vue. La mort établit l’égalité complète ; et, devant elle, l’égoïsme et l’altruisme sont identiquement absurdes.

L’HOMME POLITIQUE. – Soit. Mais l’absurdité de l’égoïsme ne nous empêche pas d’être égoïstes ; exactement comme l’altruisme, autant qu’il est possible en général, se passe de fondements rationnels et ne met pas en peine de raisonner sur la mort. Je sais que mes enfants et mes petits-enfants mourront, mais cela ne m’empêche pas de m’occuper de leur bien, comme d’une chose qui serait éternelle. Je travaille pour eux, d’abord parce que je les aime ; et leur donner ma vie me procure de la satisfaction. « J’y trouve du goût. » C’est simple comme bonjour [1].

LA DAME. – Oui, tant que tout va bien ; et cependant la pensée de la mort se fait place tout de même. Et

  1. En français. (N. d. t.)