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l’homme vraiment bon, qui, envers son ennemi, rend le bien pour le mal, non seulement en apparence, par la courtoisie des paroles et des gestes, mais le bien réel et vivant, sous la forme d’un secours pratique ; – quand Delarue intervient dans les conditions d’existence du scélérat et se montre prêt à partager avec lui sa fortune, à lui assurer des arrangements domestiques et même à partager avec lui le bonheur familial, – alors cette bonté active, pénétrant les couches plus cachées de l’être moral du scélérat, en dévoile l’insignifiance, et, enfin, atteignant le fond de l’âme, éveille là le crocodile de l’envie. Cette envie ne s’adresse pas à la bonté de Delarue – car le scélérat peut être bon – d’ailleurs n’a-t-il pas senti sa propre bonté quand « il sanglota avec le tourment du cœur » ? Non, il envie précisément l’inaccessible, absolu et simple sérieux de cette bonté :

Le meurtrier peut pardonner l’offre du portrait,
____Mais non pas l’offre d’une rente.

Est-ce que cela n’est pas réel ? Est-ce que les choses ne se passent pas ainsi dans la vie réelle ? La seule humidité de la pluie vivifiante fait naître les forces salutaires dans les plantes médicinales ; – de même se développe le poison des herbes vénéneuses. À la fin des fins, le bienfait actif augmente le bien dans le bien – et le mal dans le mal. Devons-nous alors, et même avons-nous le droit, toujours et sans distinction, d’abandonner notre volonté à nos bons sentiments ? Peut-on louer les parents qui, avec zèle, vident de bons entonnoirs sur les herbes vénéneuses d’un jardin