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vous compterai en billets de banque, » – merveilleux. « Pardonner l’offre d’une rente – non ! » et « il s’enfuit à Tambov », – deux vrais coups de maître ! [1].

M. Z… – Mais quelle véracité ! vous le voyez. Delarue n’est pas la « vertu épurée », qui ne se rencontre pas dans la réalité naturelle. C’est un homme vivant, qui a les humaines faiblesses, – et l’ostentation (« je suis chambellan ! ») et l’avidité (cent mille roubles de provision). Sa fantastique impénétrabilité au poignard du scélérat n’est que le clair symbole de sa bonté sans limites, supérieure et même insensible à toutes les offenses ; ce qui se rencontre, bien que très rarement. Delarue n’est pas la personnification de la vertu : c’est l’homme naturellement bon, en qui la bonté du cœur a vaincu les mauvais instincts et les a repoussés à la surface de l’âme, sous la forme d’inoffensives faiblesses. De même, le « scélérat » n’est pas du tout le simple extrait du vice, mais l’ordinaire mélange des bons et des mauvais instincts. Chez lui, le mal de l’envie siégeait dans les profondeurs mêmes de l’âme et a repoussé tout le bon à l’épiderme de l’âme, si l’on peut dire ; et, là, alors, la bonté a pris la forme de la sensibilité vivante mais superficielle. Quand, à une série d’offenses atroces, Delarue répond par des paroles courtoises et par l’invitation à prendre une tasse de thé, ces témoignages de bonne éducation éveillent la sensibilité de l’épiderme moral chez le scélérat, qui, alors, se livre au repentir le plus expansif. Quand la politesse du chambellan devient le cordial intérêt de

  1. En français. (N. d. t.)