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Je pensais que vous le connaissiez. C’était le chambellan Delarue.

LA DAME. – Jamais je n’ai entendu parler de lui et je crois pouvoir me flatter de connaître tout Pétersbourg sur le bout du doigt.

L’HOMME POLITIQUE. – Moi non plus je ne me rappelle rien à ce sujet. Quelle est donc l’histoire de ce chambellan ?

M. Z… – Elle est supérieurement exposée dans une poésie inédite d’Alexis Tolstoï.

LA DAME. – Inédite ? Alors, c’est bien une farce. Pourquoi mêlez-vous cela à notre conversation si sérieuse ?

M. Z… – Quoique la forme ait le caractère d’une farce, il s’agit cependant d’une chose très sérieuse, je vous assure, et qui, point capital, a un fondement pratique et véridique. D’ailleurs, le rapport réel entre la bonté et la méchanceté dans la vie humaine est représenté par ces vers facétieux beaucoup mieux que je ne pourrais le représenter sur le ton grave de ma prose. Quand les héros des grands romans universels qui, sérieusement et avec art, labourent l’humus de la psychologie, seront devenus de simples souvenirs littéraires bons pour les érudits, cette farce, qui, avec ses traits d’une caricature féroce, touche à la souterraine profondeur de la question morale, conservera, j’en suis très sûr, toute sa vérité artistique et philosophique.

LA DAME. – Eh bien, je n’ai pas confiance dans vos paradoxes. Vous êtes possédé de l’esprit de contradiction ; et, à dessein, vous bravez toujours l’opinion publique.

M. Z… – Probablement, je la « braverais » si elle