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En outre, ce qui est le principal, je me rends compte que rien n’en peut résulter sauf des vilenies. Au contraire, si je m’en abstiens et si je me conduis poliment vis-à-vis de cet homme, alors, je n’ai rien à perdre, mais beaucoup à gagner. Quelle que soit l’antipathie nationale qui existe entre deux peuples ayant acquis un certain degré de culture, jamais ils n’en arriveront aux voies de fait[1], c’est-à-dire à la guerre. Celle-ci, en effet, est très différente de l’aspect que lui donnent les poètes et les peintres. Tous ces cadavres, ces plaies nauséabondes, cet entassement d’une multitude d’hommes rudes et malpropres, cette interruption de l’ordre régulier de la vie, la destruction des édifices et des institutions utiles, des ponts, des chemins de fer, des télégraphes, telle est la guerre, dans la réalité. Toute cette laideur répugne directement à un peuple cultivé ; comme à nous et à vous répugnent des yeux crevés, des joues tuméfiées, un nez arraché. En outre, à un certain niveau de développement intellectuel, le peuple comprend combien il lui est utile d’être courtois vis-à-vis des autres nations et combien désavantageux de se déchirer avec elles. Assurément, il y a en cela beaucoup de degrés : le poing est plus cultivé que la dent ; le bâton est plus cultivé que le poing ; et le symbolique soufflet est encore plus cultivé. De même, les guerres peuvent être conduites d’une manière plus ou moins sauvage. En effet, les guerres européennes du dix-neuvième siècle ressemblent au duel réglementé entre deux hommes bien

  1. En français. (N. d. t.)