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constituée une humanité unifiée et pacifique, là subsisteront les gradations naturelles consacrées par l’histoire et les nuances de culture qui doivent régler nos diverses relations avec des peuples divers. Et dans le triomphal et universel empire de la haute culture ce sera, pour toutes choses, comme dans le royaume des cieux : il y aura une gloire propre au soleil, une autre gloire propre à la lune, une autre gloire propre aux étoiles, car en gloire l’étoile diffère de l’étoile. N’est-ce pas ainsi, il me semble, dans le catéchisme ? Eh bien ! maintenant que le but, quoique prochain, n’est pas atteint encore, nous devons d’autant plus nous prémunir contre les erreurs d’un égalitarisme uniforme. À présent, les journaux se mettent à parler d’une contestation entre Anglais et Transvaaliens ; il paraît même que ces Africains menacent de la guerre les Anglais[1]. Déjà, je vois des journalistes et des politiciens divers, et peut-être va-t-on les voir dans tout le continent, prendre parti contre les Anglais et défendre à outrance ces misérables Africanders opprimés. Ce serait absolument la même chose que si le très honorable et bien méritant, très instruit et très connu Théodore Théodorovitch Martens[2] entrant pour ses affaires dans une boutique voisine avait été tout à coup malmené par un grossier et jeune commis, qui lui aurait dit : « La boutique nous appartient ; tu n’as rien à y faire ; va-t’en, sinon je t’étrangle ou je t’égorge », et s’était mis à lui serrer le cou. Certainement, on pourrait regretter que

  1. L’entretien avait lieu en avril (1898). (Note de l’auteur.)
  2. Le jurisconsulte russe Martens, mort depuis, faisait partie de la Conférence internationale de la Haye.