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Français, les Allemands. Si je me sens Européen, n’est-ce pas absurde de ma part de vouloir démontrer que je suis une espèce de Slavo-Russe ou de Gréco-Slave ? Je sais incontestablement que je suis Européen et, de même, que je suis Russe. Je puis, j’avouerai même que je dois, avoir de la compassion et des ménagements envers tous les hommes et aussi envers tous les animaux. Béni est l’homme qui a pitié des bêtes. Cependant je ne puis me reconnaître aucune solidarité – aucune parenté – avec des Zoulous ou avec des Chinois, mais seulement avec des nations et des individus qui ont créé et protégé toutes ces richesses de la civilisation supérieure, nourriture de mon esprit et source de mes meilleures jouissances. Avant tout, il fallait former et fortifier ces nations choisies et les mettre en état de résister aux éléments d’ordre inférieur. Donc la guerre était nécessaire. Donc la guerre était une chose sainte. Maintenant, les nations élues sont formées et consolidées ; elles n’ont plus rien à craindre, excepté les discordes intestines. Partout, maintenant, s’annonce l’ère de la paix et du pacifique développement de la civilisation européenne. Tous les peuples doivent devenir européens. L’idée d’Européen doit coïncider avec l’idée d’homme ; et l’idée de monde européen civilisé avec l’idée d’humanité. Tel est le sens de l’histoire. D’abord, les Européens furent seulement représentés par les Grecs ; puis, par les Romains ; ensuite apparurent tous les autres, en premier lieu ceux de l’Occident, puis, en Orient, les Européens russes ; là-bas, derrière l’Océan, les Européens d’Amérique ; maintenant, c’est le tour des Turcs, des Persans,