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l’origine, mais surtout depuis le temps de Baty[1], l’élément asiatique a pénétré notre nature, est devenu une seconde âme ; si bien que l’Allemagne pourrait dire de nous, en soupirant :

Zwei Seelen wohnen, ach ! in ihrer Brust
Die eine will sich von der andern trennen.

Nous ne pouvons pas du tout nous séparer de cette seconde âme, et nous ne le devrions pas – car nous lui avons quelque obligation. Mais pour qu’une telle dualité ne produise pas en nous le déchirement dont le Général a parlé, il faut décidément qu’une seule âme soit victorieuse et prédomine ; bien entendu l’âme la meilleure, la plus forte intellectuellement, la plus propre au plus grand progrès, la plus riche en intimes puissances. C’est ce que l’on vit sous le règne de Pierre le Grand. Notre parenté intellectuelle et morale avec l’Asie était assujettie, mais elle demeurait indestructible. Quelques esprits s’attachèrent à d’absurdes rêveries en vue de résoudre de nouveau la question historique qui avait été résolue sans retour. De là naquit le slavophilisme, théorie d’un type historique cultivé, indépendant, et tout le reste. En réalité, nous sommes d’irréductibles Européens, mais nous avons au fond de l’âme un sédiment asiatique. Même, selon moi, c’est, pour ainsi dire, une certitude grammaticale. D’après la grammaire, le mot russe est un adjectif. Eh bien ! à quel substantif se rapporte cet adjectif ?

LA DAME. – Au substantif homme, je pense ; un homme russe, des hommes russes.

  1. Chef militaire tartare. (N. d. t.)