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régnera parmi les hommes. Eh bien ! où est-elle, la bienveillance ? L’avez-vous rencontrée ? Pour dire vrai, il n’y a qu’une nation européenne envers laquelle vous et moi nous nous sentions une bonne volonté sincère et réelle : la principauté de Monaco. Avec elle, chez nous, la paix est inviolable. Mais que, du fond de l’âme, nous considérions les Anglais et les Allemands comme nos frères et que leur avantage nous paraisse être notre avantage et leur satisfaction notre satisfaction, cette « solidarité », comme vous dites, avec les nations européennes ne se réalisera jamais chez nous, certainement.

L’HOMME POLITIQUE. – Comment ! elle ne sera pas ? Mais elle existe déjà et elle a marqué sa place dans la nature des choses ! Nous vivons en solidarité avec les Européens pour cette simple raison que nous-mêmes sommes Européens. Depuis le dix-huitième siècle, c’est un fait accompli[1]. Ni la sauvagerie des masses populaires russes, ni les tristes chimères des slavophiles n’y changeront rien.

LE GÉNÉRAL. – Ainsi donc, les Européens sont solidaires entre eux ; les Français avec les Allemands, par exemple ; les Anglais avec ceux-ci et avec ceux-là ? Cependant le bruit court que même les Suédois auraient perdu leur solidarité avec les Norvégiens !

L’HOMME POLITIQUE. – Bel argument, en vérité ! Par malheur, il s’appuie tout entier sur une base détériorée : l’oubli de la réalité historique. Dites-moi, je vous prie, si, du temps d’Ivan III ou d’Ivan IV,

  1. En français. (N. d. t.)