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et mutuel appui qu’elles se donnent, chacune posant les conditions d’existence de l’autre. En travaillant consciencieusement au progrès moral des États barbares, œuvre où toute l’Europe est intéressée, nous resserrons les liens de la solidarité entre nous et les autres nations européennes. C’est évident. Non moins évidente la conclusion que voici : à son tour, l’affermissement de cette concorde européenne fortifie notre action sur les peuples barbares, en leur enlevant l’idée même de la possibilité de la résistance. Vous pensez bien que, si le Jaune savait que l’Europe se tient derrière la Russie, nous ne rencontrerions jamais plus en Asie aucune opposition, n’est-ce pas ? En outre, si, au contraire, le Jaune s’apercevait que, loin de soutenir la Russie, l’Europe la contrecarre, il aurait l’idée d’attaquer notre frontière par les armes. Alors, nous devrions nous défendre sur deux fronts, dont l’étendue mesurerait dix mille verstes. Je ne crois pas à l’épouvantail d’une invasion mongole, parce que je n’admets pas la possibilité d’une guerre européenne ; mais, si cette guerre survenait, il faudrait craindre les Mongols.

LE GÉNÉRAL. – C’est entendu ; vous jugez invraisemblables la guerre européenne et l’invasion mongole ; mais je ne crois pas du tout à votre « solidarité des nations européennes » ni à une ère prochaine de paix universelle. Pareille chose n’est pas naturelle, ni vraisemblable. On a raison, le jour de Noël, de chanter dans les églises : « La paix sur la terre, la bienveillance parmi les hommes » ; mais cela veut dire que la terre sera en paix seulement quand la bienveillance