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M. Z… – Par malheur, toujours, entre les individus et entre les peuples, ce changement se produit d’une manière pour ainsi dire fatale.

L’HOMME POLITIQUE. – Oui, c’est vrai. D’un autre côté, toutefois, ni dans la vie des individus ni dans la vie des peuples, je n’ai rencontré un seul cas où l’hostilité et la jalousie entre collaborateurs d’une entreprise commune aient rendu l’un ou l’autre plus puissant, plus riche ou plus heureux. Cette expérience universelle, qui ne comporte aucune exception, compte aux yeux des gens intelligents ; et je pense qu’elle profitera enfin à un peuple intelligent comme le peuple russe. Nous opposer aux Anglais dans l’Extrême-Orient, ce serait le comble de la folie ; sans parler de l’inconvenance qu’il y a à soulever des querelles de famille devant des étrangers. Mais peut-être pensez-vous que nous sommes plus apparentés aux jaunes Chinois qu’aux compatriotes de Shakespeare et de Byron ?

M. Z… – Eh ! c’est une question épineuse.

L’HOMME POLITIQUE. – Alors, négligeons-la, pour le moment. Mais tournez votre attention du côté que voici. En observant les choses d’après mon point de vue, vous reconnaîtrez qu’à notre époque la politique de la Russie doit avoir seulement deux objectifs : d’abord, maintenir la paix, la paix européenne, puisque, au degré actuel du développement historique, toute guerre européenne serait une guerre civile absurde et criminelle ; – ensuite, entreprendre l’éducation des peuples barbares qui se trouvent dans la sphère de notre influence. Ces deux visées, outre leur valeur intrinsèque, doivent encore être appréciées pour l’étonnant