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à ceux qui, là encore, leur seront supérieurs. Qu’avons-nous donc à faire ? Aujourd’hui, on rencontrerait très difficilement, n’importe où, une dose d’imbécillité comme celle qui nous a conduits à opposer à la réelle prédominance des Allemands, prédominance acquise par leurs travaux, une croix imaginaire placée sur Sainte-Sophie.

LE GÉNÉRAL. – Voilà la question, en effet : il faudrait que cette croix ne fût pas imaginaire.

L’HOMME POLITIQUE. – Qui donc la matérialisera ? Trouvez un médium. En attendant, notre amour-propre national n’a qu’une ressource – selon la mesure raisonnable où ce sentiment est généralement admis – c’est de redoubler d’efforts pour, le plus vite possible, égaler les autres nations dans les choses où nous sommes en retard, et compenser le temps et les forces perdus à multiplier des comités slaves et autres bagatelles nuisibles. D’ailleurs, si, à l’heure présente, nous sommes faibles en Turquie, nous pouvons quand même jouer un rôle civilisateur de première importance en Asie centrale et dans l’Extrême-Orient. Selon les apparences, c’est là que l’histoire universelle transporte aujourd’hui son centre de gravité. Là, par sa situation géographique et encore pour d’autres raisons, la Russie peut faire plus que toutes les nations, excepté, naturellement, l’Angleterre. Donc, à cet égard, le succès de notre politique exige une durable et sincère entente avec les Anglais, afin que le concours civilisateur que nous leur donnerons ne dégénère jamais en animosité absurde et en indigne rivalité.