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la Turquie n’est qu’un haineux préjugé que déjà, sous nos yeux, les Allemands ont commencé à démentir ; de même qu’autrefois ils ont contribué à dissiper le préjugé qui accusait le peuple russe d’une sauvagerie innée. Quant à ce qui concerne vos « chrétiens » et vos « non-chrétiens », la question manque d’intérêt[1] pour les victimes de férocités quelconques. Si quelqu’un se mettait à me déchirer la peau, je n’aurais pas l’idée de lui demander : « De quelle religion êtes-vous ? cher monsieur. » En pareil cas, je n’éprouverais aucune consolation à savoir que je suis déchiré par des gens qui me seraient non seulement très désagréables, mais qui, en outre, sont d’horribles chrétiens détestés de leur propre Dieu dont ils raillent les prescriptions. D’une manière objective, il est évident, n’est-ce pas, que le « christianisme » d’Ivan IV, ou de Saltitchika, ou d’Araktchev n’est pas un privilège, mais seulement un abîme d’immoralité comme il n’y en a pas dans les autres religions. Hier, le Général vous racontait les crimes des sauvages Kurdes et, entre autres choses, mentionnait le culte qu’ils rendent au démon. En effet, c’est très mal de griller à petit feu des enfants ou des adultes ; et, sans hésiter, je qualifie de diaboliques de pareilles actions. Cependant, on sait qu’Ivan IV aimait surtout griller les gens à petit feu et qu’avec son propre bâton il entassait lui-même la braise. Pourtant, il n’était ni sauvage ni démoniaque ; c’était un homme d’un esprit subtil et étendu par rapport à la culture de son temps, d’ailleurs théologien,

  1. En français. (N. d. t.)