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sauvage et réciproque, ne savent pas administrer en paix leurs affaires.

La DAME. – Vraiment, vous nous contez de singulières histoires ! Livrer pour l’éternité un peuple chrétien à l’administration turque – est-ce que cela est possible ? Les Turcs me plaisent sous beaucoup de points de vue ; mais, cependant, ils sont barbares ; et chez eux le dernier mot appartiendra toujours à la force. La civilisation européenne ne fera que les gâter.

L’HOMME POLITIQUE. – Ou aurait pu dire la même chose de la Russie au temps de Pierre le Grand, et même beaucoup plus tard encore. Nous nous rappelons les « atrocités turques », mais y a-t-il longtemps que la Russie et d’autres contrées n’ont plus leurs « atrocités turques » ? Eh bien ! et chez nous, les gens qui gémissaient sous le joug des mauvais propriétaires fonciers ? – qui étaient-ils ? des chrétiens ou des païens ? Et ces soldats qui gémissaient sous le joug des verges ? Toutefois, la seule juste réponse aux gémissements des chrétiens russes a été l’abolition du servage et des verges, et non point la destruction de l’empire russe. Alors, pourquoi donc, aux gémissements des Bulgares et des Arméniens, devrait-on, de toute nécessité, satisfaire par la destruction de cet État où retentissent des plaintes qui pourraient n’y pas retentir ?

LA DAME. – Ce n’est pas du tout une seule et même chose de voir se produire des scandales à l’intérieur d’un État chrétien qui peut facilement être réformé, et de voir un peuple chrétien opprimé par des non-chrétiens.

L’HOMME POLITIQUE. – L’impossibilité de régénérer