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par le nouveau caractère de la guerre, devenue, on peut le dire, non sanglante. Car la transformation s’est accomplie sous nos yeux : tous, nous nous rappelons les bulletins d’autrefois, ceux de 1870 et de 1877.

LE GÉNÉRAL. – Prenez patience, avant de vous frapper. Que deux nations militaires en viennent aux mains, et vous verrez les bulletins qu’on publiera de nouveau.

L’HOMME POLITIQUE. – Je ne le crois pas. Y a-t-il si longtemps que l’Espagne était une nation militaire de premier ordre ? Grâce à Dieu, le passé ne peut renaître. J’incline à croire que l’ensemble de l’humanité subit la loi du corps humain, où les organes inutiles s’atrophient. Les qualités militaires cessent d’être utiles : alors elles disparaissent. Si tout à coup elles se manifestaient de nouveau, j’en éprouverais autant de surprise que devant des chauves-souris qui auraient des yeux d’aigle, ou devant des hommes dont la queue aurait repoussé.

LA DAME. – Mais comment se fait-il que tout à l’heure vous disiez tant de bien des soldats turcs ?

L’HOMME POLITIQUE. – Je leur ai reconnu le mérite d’être les gardiens de l’ordre à l’intérieur de l’État. Dans ce sens, la force militaire, ou, comme on dit, la « main armée », manus militaris, sera longtemps encore nécessaire à l’humanité. Mais cela n’empêche pas que le militarisme, c’est-à-dire l’inclination et l’aptitude aux guerres internationales, en un mot, si vous voulez, le national esprit querelleur, ne doivent entièrement disparaître et en effet ne disparaissent à nos yeux, dégénérant en cette forme, non sanglante,