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il s’agirait pour nous de prendre Constantinople, de prendre Jérusalem et, à la place de l’empire turc, de constituer plusieurs provinces militaires russes, comme à Samarkand ou à Askhabad. Les Turcs, lorsqu’ils sont désarmés, se comportent bien de toute manière, en fait de religion et à d’autres égards.

L’HOMME POLITIQUE. – Je suppose que vous ne parlez pas sérieusement. Sinon, j’aurais lieu de mettre en doute votre… patriotisme. Car si nous commencions la guerre avec un plan si radical, nous ferions naître de nouveau une coalition européenne, à laquelle finalement se joindraient nos Éthiopiens, émancipés ou marqués pour l’émancipation. Ils comprennent bien que, sous l’autorité russe, ils ne pourront guère manifester leur propre « physionomie nationale », comme disent les Bulgares. Le résultat final serait, non pas la destruction de l’empire turc, mais, pour nous, une nouvelle dévastation de Sébastopol, et en grand[1]. Non, quoique nous nous soyons assez souvent engagés dans une mauvaise politique, je me tiens tout de même pour assuré qu’une absurdité telle qu’une nouvelle guerre avec la Turquie, cela nous ne le verrons pas. Et si nous devions en être témoins, alors tout patriote devrait dire de la Russie, avec désespoir : Quem Deus vult perdere, prius dementat.

LA DAME. – Ce qui signifie ?

L’HOMME POLITIQUE. – Dieu prive d’abord de la raison celui qu’il veut perdre.

LA DAME. – Eh bien ! l’histoire ne suit pas les

  1. En français. (N. d. t.)