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d’hommes auraient péri de la sorte. Sans doute, c’est une fable. En tout cas, ce carnage d’Arméniens fut beaucoup plus considérable que n’avait été le carnage de Bulgares. Tels sont les heureux résultats de nos guerres patriotiques et philanthropiques.

LE GÉNÉRAL. – Alors, comprenne qui pourra. Tantôt, c’est la mauvaise politique qui est coupable ; tantôt, c’est la guerre patriotique. À vous entendre, on croirait que Gortchakov et M. de Giers étaient des soldats, ou que Disraeli et Bismarck étaient des patriotes et des philanthropes russes.

L’HOMME POLITIQUE. – Vous trouvez que mon exposé n’est pas clair ? J’envisage une relation très certaine – nullement abstraite ou idéale – tout à fait réelle, un rapport positif entre la guerre de 1877, conséquence de notre mauvaise politique, et la récente extermination des chrétiens en Arménie. Peut-être savez-vous, mais peut-être avez-vous besoin de savoir qu’après 1878, la Turquie, calculant les résultats futurs qu’aurait pour elle en Europe le traité de San-Stéfano, résolut de garantir sérieusement son existence, au moins en Asie. D’abord, au Congrès de Berlin, elle s’assura la garantie de l’Angleterre. Mais, se conformant avec raison à la maxime : « Compte sur l’Angleterre et tiens-toi sur tes gardes », le gouvernement turc s’occupa d’augmenter, en Arménie, le nombre et l’organisation de ses troupes irrégulières, c’est-à-dire, plus ou moins, des mêmes « démons » avec lesquels a eu affaire le Général. Cela semblait très judicieux. Cependant, quinze ans après que Disraeli, en échange de la cession de l’île de Chypre, eut garanti à la Turquie