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longue, nous l’avons vaincu, c’est, assurément, une preuve de la force de notre peuple et de notre état, comme aussi de notre sentiment national. Mais qu’en 1812 la guerre ait été pour nous une obligation impérieuse, non, je ne l’admettrai jamais. On pouvait très bien être en opposition avec Napoléon ; mais l’irriter, on ne le pouvait pas sans un grand risque. L’aventure a bien tourné ; son issue a été flatteuse pour notre amour-propre national ; et, cependant, c’est à peine si les conséquences éloignées en peuvent être considérées comme un avantage véritable. Lorsque, à propos de rien, deux athlètes se déchirent et que l’un renverse l’autre, sans avoir porté ni reçu un coup dangereux, naturellement, je donnerais bien au vainqueur le nom de brave ; mais je continuerais à mettre en doute la nécessité d’un tel déploiement de courage. La gloire de 1812 et les manifestations de vertu nationale demeurent en nous, quelles que fussent les causes de la guerre.

Alors la sainte histoire de l’année douze
Était encore toute vivante…

C’est très beau pour la poésie, l’« histoire sainte ». Mais je cherche les résultats ; et alors je vois : l’archimandrite Photius, Magnitsky, Araktchev, la conspiration des Décabristes, d’un côté ; de l’autre, en somme[1], ces trente années du régime militariste attardé qui a eu pour aboutissement la dévastation de Sébastopol.

  1. En français. (N. d. t.)