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Alexandre Newsky, au treizième siècle, a tué des Livoniens et des Suédois ; et il est saint ; – Alexandre Souvorov, au dix-huitième siècle, a tué des Turcs et des Français ; et lui n’est pas saint. Pourquoi ? je le demande. À Souvorov on ne peut rien reprocher d’incompatible avec la sainteté. Il était sincèrement pieux, chantait avec ardeur dans l’église, où il lisait à l’ambon ; il a mené une vie irréprochable, sans une seule aventure d’amour. Enfin, ses folies, loin d’y faire obstacle, plaideraient plutôt, comme un argument superflu, pour sa canonisation. Mais la différence consiste en ceci : Alexandre Newsky combattait pour l’avenir national et politique de son pays, pays à demi dévasté dans l’Est et qui avait grand-peine à repousser les nouveaux envahisseurs qui venaient de l’Ouest. L’instinct populaire comprit l’importance capitale de la situation et donna à ce prince la plus haute récompense que l’on pût offrir en le mettant au nombre des saints. Cependant, les exploits de Souvarov, quoique incomparablement plus importants au point de vue militaire – surtout sa marche à travers les Alpes, comme Hannibal, – ne correspondaient à aucune nécessité impérieuse. Il n’avait pas entre les mains le salut de la Russie. Voilà pourquoi il n’est rien de plus qu’une célébrité militaire.

LA DAME. – Mais les généraux de 1812, bien qu’ils aient sauvé la Russie menacée par Napoléon, n’ont pas cependant été mis au rang des saints.

L’HOMME POLITIQUE. – La Russie sauvée de Napoléon, cela c’est de la rhétorique patriotique. Il ne nous aurait pas mangés ; et il n’y pensait point. Si, à la