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partout, à cause même de la réalisation de ce but, elle perd sa raison d’être.

Soit dit par parenthèse, je m’étonne que certaines philosophies d’aujourd’hui traitent du sens de la guerre sans tenir compte des époques. La guerre a-t-elle un sens ? C’est selon[1]. Hier, peut-être, elle avait une signification partout ; aujourd’hui, elle en a une seulement dans quelque région de l’Afrique et dans l’Asie centrale, là où se trouvent encore des peuples sauvages ; mais demain on ne la comprendra plus nulle part. Il y a lieu de remarquer qu’en perdant sa valeur pratique la guerre perd aussi, quoique lentement, sa mystique auréole. Cela est évident même parmi un peuple arriéré en masse, comme le nôtre. Jugez vous-mêmes : l’autre jour, sur le ton du triomphe, le Général nous a montré que chez nous tous, les saints sont ou des moines ou des soldats. Mais, je vous en prie, dites-moi donc à quelle époque historique, précisément, se rapporte cette sainteté guerrière ou ce militarisme saint ? Est-ce que ce n’est pas l’époque même où la guerre était réellement une œuvre tout à fait indispensable, salutaire et, si vous le voulez, sainte ? Nos saints guerriers étaient tous des princes de l’époque de Kiev ou de l’époque mongole. Parmi eux je ne me rappelle pas avoir vu aucun lieutenant-général ni même aucun général-lieutenant. Qu’est-ce que cela veut dire ? Voici deux guerriers illustres qui ont autant de droits l’un que l’autre de prétendre personnellement à la sainteté. Elle est reconnue à l’un et pas à l’autre. Pourquoi ?

  1. En français. (N. d. t.)