Page:Soloviev - Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion, trad Tavernier, 1916.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais tant que vous n’aurez pas fait cela, l’État et tout ce dont vous et nous lui sommes redevables, tout cela reste un fait immense, tandis que vos attaques contre lui se réduisent à de pauvres paroles. Donc, je le répète : la grande importance de la guerre, comme principale condition de la création de l’État, ce point ne supporte pas le doute ; mais, maintenant, voici ce que je demande : est-ce que cette grande affaire de la fondation de l’État ne peut pas être considérée comme terminée, dans ses lignes essentielles ? L’œuvre de détail, assurément, peut être accomplie sans qu’on ait besoin de recourir à un moyen aussi héroïque que la guerre. Dans l’Antiquité et durant le Moyen Âge, lorsque le monde de la culture européenne ne représentait qu’une île au milieu d’un océan de races plus ou moins sauvages, la guerre s’imposait directement, comme un moyen de défense personnelle. On avait besoin d’être toujours en mesure de repousser des hordes de toute espèce qui, sorties de régions inconnues, se précipitaient pour étouffer les faibles germes de la civilisation. Mais, à notre époque, ce sont les éléments non européens qui forment des îles, tandis que la culture européenne est devenue l’océan qui ronge les bords de ces îles. Nos savants, nos explorateurs, nos missionnaires ont fouillé tout le globe terrestre et nous n’avons rien aperçu qui menace d’un sérieux péril le monde civilisé. Avec beaucoup de succès, les sauvages s’appliquent à se détruire et à s’éteindre. Les soldats barbares, comme les Turcs et les Japonais, se civilisent et perdent leur instinct guerrier. Cependant, l’unification des peuples européens dans la vie sociale cultivée…