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L’HOMME POLITIQUE. – Si vous me permettez d’expliquer mon opinion sur la matière, vous verrez, d’une façon évidente, avec qui et sur quoi je suis d’accord. Mon opinion n’est qu’une déduction logique de l’incontestable réalité et des faits de l’histoire. Peut-on contester la signification historique et l’importance de la guerre ? N’est-elle pas le moyen principal, sinon unique, par lequel un État se fonde et s’affermit ? Montrez-moi un seul État qui se serait établi et fortifié en dehors de la guerre.

LA DAME. – Et les États-Unis ?

L’HOMME POLITIQUE. – Grand merci pour cet excellent exemple. Je parle de la fondation d’un État. L’Amérique du Nord, en tant que colonie européenne, fut, comme toutes les autres colonies, organisée non point par des soldats mais par des navigateurs. Quand elle voulut devenir un État, il lui fallut s’engager pour longtemps dans la guerre afin d’acquérir son indépendance politique.

LE PRINCE. – De ce qu’un État s’est fondé par la guerre, ce qui est incontestable, vous concluez, sans doute, à l’importance de la guerre. Mais moi je crois qu’on doit seulement en conclure que l’État n’a pas d’importance. Du moins, ainsi raisonnent les gens qui ont répudié le culte de la force.

L’HOMME POLITIQUE. – Allons ! Tout de suite le culte de la force ! Pourquoi donc ? Vous devriez plutôt essayer d’établir une société humaine en dehors des conditions auxquelles elle est assujettie, ou bien renoncer à tout ce qui dépend de ces conditions ; – alors, vous pourrez dire que l’État n’a pas d’importance.